english
français
contact me

reviews
Partage sensible par Florent Le Demazel [Débordements]

29.06.2012

Accompagnant la sortie du livre co-écrit avec Eric Hazan, Un Etat commun, entre le Jourdain et la mer, aux éditions La Fabrique, le film d’Eyal Sivan fonctionne cependant comme objet autonome. Plus encore, c’est le livre qui apparait presque comme une mise à plat, un résumé clair et concis des thèses qui apparaissent dans le film. Dans l’un comme dans l’autre, les mêmes thèmes sont abordés, suivant une répartition chapitrée, et certains intellectuels cités dans le livre prennent la parole dans le film. C’est que ce dernier constitue essentiellement une synthèse de réflexions orales sur l’état actuel de la Palestine, et sa possible évolution vers un Etat partagé. Deux heures durant, des hommes et des femmes vivant sur place vont exposer leur point de vue devant l’objectif du documentariste. Problème : comment filmer ensemble ces personnes appartenant a priori à deux camps opposés ? La réponse de l’artiste prend une forme rigoureuse et faussement simple, proposant une mise en scène de la parole et de l’écoute qu’il nous faudra interroger.

Monter la parole, filmer l’écoute.

Plusieurs films récents ont donné à voir des témoins racontant leur expérience (personnelle et historique) face à la caméra : Duch devant celle de Rithy Panh, Fengming devant celle de Wang Bing [1]. Il s’agissait pour les cinéastes de filmer des survivants, incarnations d’évènements historiques souvent meurtriers, qui puisaient dans leur mémoire pour donner une vision d’époques qu’ils ont traversées. La caméra enregistraient d’abord le témoignage avec ses hésitations, ses temps morts, éventuellement ses incohérences ; et puis le témoin, son visage, les émotions qu’impriment (ou non) sur lui les souvenirs remontant à la surface. Ces films faisaient ainsi se superposer, par l’intermédiaire du témoin, le passé - un discours personnel (ou au contraire parfois formaté : la défense de Duch) - et le présent - un être parlant, un corps dont s’échappe cette parole mémorielle.

Le film de Sivan regarde pour sa part vers le futur. Le cinéaste a rencontré une à une les personnes filmées, et leur a posé les mêmes questions : comment chacun, présent moins en tant que témoin (bien que tous vivent au quotidien la réalité israélo-palestinienne) qu’intellectuel (au sens large : journaliste, étudiant, artiste, militant, professeur...), perçoit l’acheminement possible vers un Etat bi-national ? Lors du pré-générique, tous prennent place tour à tour face à la caméra, donnant l’impression d’arriver en même temps pour participer à une table ronde, dont on ne verrait toujours que deux membres à la fois, le locuteur et un de ceux qui l’écoutent....

Lire la suite:
http://revuedebordements.free.fr/spip.php?article85