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Réfugiés palestiniens : droit au retour ? by Lise Benkemoun (Actualité Juive)

01.06.1995

Aqabat Jaber, est un camp de réfugiés palestiniens qui se situe en Cisjordanie, à 3 km de Jéricho. En 1948, il accueillait 65 000 réfugiés palestiniens -Aujourd'hui, ils sont 3000 à vivre là, mais cette fois-ci sous administration palestinienne. En 1987, Eyal Sivan avait déjà tourné un reportage là-bas : Aqabat Jaber Vie de passage. Huit ans plus tard, il y est retourné, parler avec les habitants de "la catastrophe de 1948" et du droit au retour. La plupart des Palestiniens qu'il a filmés pensent que le retour est inévitable, et ils le souhaitent ardemment. Ils revendiquent leur identité de réfugiés, leurs droits et leurs racines en Palestine. Pour eux, ce camp n'est qu'un lieu provisoire :
 
"On n'a pas choisi de vivre ici. On essaiera toute notre vie de libérer notre terre". A part cet homme d'une quarantaine d'années, plus réaliste et plus résigné que les autres qui dit : "Le retour c'est des paroles en l'air. On a Gaza, Jéricho et peut-être la Cisjordanie, essayons de vivre en paix", les Palestiniens d'Aqabat Jaber ne soutiennent la paix que de très loin...
 
Une fille de 13 ans s'exprime ainsi : "Je veux récupérer ce qu'on m'a volé par tous les moyens, la paix ou la guerre". Une autre, foulard sur la tête, assure : "C'est écrit dans le Coran qu'ils partiront. Même s'ils sont nés ici ce n'est pas leur terre, c'est la nôtre. Leurs racines ne sont pas ici, mais en Europe d'où ils sont venus occuper nos terres." " 48 nous appartient, 67 aussi, on veut tout le reste, même Tel-Aviv".
 
C'est vrai qu'il est sommes toute intéressant d'entendre les témoignages de ces gens qui sont les premiers touchés par le conflit israélo-palestinen, et qu'ainsi le film d'Eyal Sivan a indéniablement in intérêt sociologique. Néanmoins, les discours qu'on entend sont encore (c'était prévisible) si pleins de haine qu'on a du mal à plaindre ces gens, et encore plus de mal à rester optimiste…
 
 
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"Je suis pour l'utilisation d'une arme non conventionnelle : la paix"

Propos recueillis par Lise Benkemoun (Actualité Juive)
 
Le 7 juin prochain, dans le cadre des Mercredis de l'Histoire, Arte diffuse un reportage d'Eyal Sivan : Aqabat Jaber, Paix sans retour ? Ce jeune cinéaste israélien aussi sulfureux que convaincu avait déjà fait du bruit avec Izkor, esclaves de la mémoire un téléfilm sur l'enseignement de la Shoah qui n'a jamais été diffusé en Israël, ou encore avec Itgaber un documentaire sur le professeur Y. Leibovitz. Il revient cette fois avec un documentaire sur les réfugiés palestiniens et s'exprime avec passion. Réponses d'un intellectuel engagé.
 
 Actualité Juive : A votre avis qu'apporte de plus votre reportage Aqabat Jaber, Paix sans retour par rapport aux autres documentaires où l'on voit des Palestiniens s'exprimer ?
 
Eyal Sivan : D'abord, avons-nous vraiment déjà vu des Palestiniens témoigner sur 48, à mon avis pas beaucoup. Sur 1967 oui, mais pas sur 48, qui est un sujet assez enfoui, même du côté des Palestiniens. 1948 pour eux c'est Ia catastrophe, ou, pour des raisons diplomatiques, l'utilisation de cette "catastrophe" dans les discours officiels palestiniens a considérablement diminué. Sans vouloir provoquer mais en jetant tout de même un pavé dans la mare, je suis contre la négation de 1948 et la révision de l'Histoire. J'ai grandi, les Israéliens ont grandi avec la mythologie de "Une terre sans peuple pour un peuple sans terre". Non ! Il y avait un peuple. La Palestine n'était pas un désert et cette "catastrophe" détermine l'histoire de nos deux peuples. Car, cette négation détermine aussi notre culpabilité. Puisque nos indiens sont vivants, réécrivons l'histoire d'Israël. A ce titre, je m'inscris dans une mouvance intellectuelle non organisée, qui est née en Israël dès l'ouverture des archives de l'armée sur 1948 : celui des nouveaux historiens. Ces gens s'opposent aux historiens officiels qui travaillaient sans documents et faisaient de la propagande. Parmi eux, on peut citer Tom Segev. l'auteur du Septième million. Je reprendrais à mon compte une phrase que je trouve particulièrement vraie : "Nous ne  sommes pas des nouveaux historiens, nous sommes les premiers historiens."
 
A.J. : Vous définissez-vous comme un cinéaste provocant ?
 
E.S. : Moi non, mais on me définit souvent comme cela. Ce qui est vrai, c'est que j'ai le goût de la provocation et que j'y crois. Surtout si faire de la provocation cela signifie provoquer un débat sur des sujets que certains Israéliens considèrent comme tabous.
 
A.J. : Lequel de vos films a fait le plus de scandale en Israël ?
 
E.S. : En réalité mes films sont très peu vus en Israël. Seuls les films sur Leibovitz, ltgaber, et lsraland, qui est sur la Guerre du Golfe ont été diffusés. Izkor par exemple n'a jamais été diffusé, et c'est la réponse d'Israël à ce film... Mais comme Arte passe sur le câble, qu'elle a déjà programmé mon film une fois et France 3 aussi alors peut-être que plusieurs Israéliens ont déjà vu Izkor... De toute façon, je ne pense pas qu'un film se juge sur le bruit qu'il fait. Ce que je sais en tout cas c'est qu'après lzkor on ne discute plus tout à fait de la même façon.
 
A.J. : Vous avez quitté Jérusalem il y a plus de 10 ans, vous habitez en France?
 
E.S. : Je suis en Israël 6 mois par an. C'est vrai que j'ai quitté Jérusalem lorsque j'avais 17 ans, mais c'était pour Tel-Aviv. Dans ces cas là en Israël, on dit qu'on quitter "Ia Judée" pour Israël.
 
A.J. : Quand on n'est pas sur place, quelle légitimité a-t-on pour critiquer l'Etat d'Israël ?
 
E.S. : Pour moi, la question de la légitimité de la critique ne se pose pas. Bizarrement, en ce qui concerne Israël on accepte la solidarité, l'adhésion et l'argent de l'extérieur, mais pas la critique ! Plus concrètement, je pense qu'il existe des résistants, et des dissidents. Et cette dissidence fait partie de l'honneur d'une société. On ne reprochera pas à Brecht d'avoir quitté l'Allemagne en 1935 ou aux intellectuels aIgériens de fuir l'Algérie, c'est pareil. Mieux vaut un dissident vivant qu'un intellectuel martyr. L'erreur fondamentale des institutions de diaspora et de ceux qui s'y reconnaissent c'est d'idéaliser l'Etat d'Israël et d'être de son côté, au lieu de soutenir les Israéliens, la société israélienne.
 
A.J. : Croyez-vous que les Israéliens soient masochistes ?
 
E.S. : Ce n'est pas du masochisme. Il existe en Israël une forme très sophistiquée de circulation de l'information. Nous sommes une si grande démocratie que nous acceptons et même que nous vénérons toutes les critiques. En ce sens, les Etats-Unis et Israël jouent la même carte. On pourrait faire le parallèle entre les films sur le Vietnam et ceux sur l'occupation des territoires. L'Etat peut accepter ou ne pas accepter la critique ce qui compte c'est que la notion d'intellectuel indépendant existe.
 
A.J. : Les Palestiniens d'Aqabat Jaber ont un discours guerrier voire de vengeance, est-ce compatible avec leur façon de revendiquer le statut de réfugié ?
 
E.S. : Je ne saisis pas le paradoxe. Aucun être ne peut se réduire à la notion d'ayant-droit c'est un être pensant. On ne peut pas réduire un homme à sa souffrance. Le Palestinien est un réfugié politique, son problème n'est pas d'avoir fui un volcan, il est donc normal qu'il garde sa volonté. Dans ces discours j'entends des demandes. La première c'est que le droit au retour soit reconnu et accepté, sachant d'autant plus qu'il est inscrit dans plusieurs conventions et dans les résolutions 242 et 338 de l'ONU. La seconde c'est une reconnaissance de l'injustice historique qui me paraît fondamentale pour les deux sociétés. La loi du retour est appliquée en Israël et tous les Juifs du monde n'y vont pas. De la même façon, si l'on donnait ce droit aux Palestiniens, je ne vois pas pourquoi ils accouraient tous ! Et si c'est le cas, peut-être est-ce parce qu'ils aiment plus cette terre que nous, et dans ce cas, je dirais qu'ils ont plus de droits dessus... Dans tout conflit géopolitique le problème du retour des réfugiés est réglé d'avance. Qui va interdire aux Bosniaques qui ont fui Sarajevo de revenir dans leur pays ! Le vrai problème n'est donc pas de savoir si ce droit au retour est applicable ou pas mais de défendre notre petit Etat juif occidental dans de telles conditions. Le rêve de purification ethnique est à abattre des deux côtés. La question n'est pas de vivre ensemble, les Juifs et les Arabes ont toujours vécu ensemble, il s'agit de savoir comment. Moi je suis pour une société sale : c'est-à-dire antipure et métissée. Je suis profondément laïc, je ne crois pas au fondamentalisme religieux d'un Etat, quel qu'il soit. Mon grand chagrin est que pour beaucoup de gens le judaïsme se résume à Israël. Je suis pour un judaïsme fort, qui ne soit à la traîne d'aucun Etat. Je dis toujours que la grande réussite du sionisme c'est d'avoir anéanti les Juifs.
 
A.J. : Pensez-vous pouvoir être un porte-parole de la cause palestinienne ?
 
E.S. : Oui, parce que la cause palestinienne est la mienne. La Palestine n'est qu'un territoire géographique. En ce qui concerne la cohabitation de ces deux peuples, il y a trois solutions : la première c'est le transfert de population, c'est exclu. La seconde c'est le transfert avec la terre, exclu aussi. Et la troisième, utopique, c'est vivre ensemble. L'Histoire de l'Orient nous montre que c'est possible, j'accepte qu'il faille d'abord passer par une phase de divorce, mais je suis pour l'utilisation d'une arme non conventionnelle : la paix.