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Incarcérations by Jacques Mandelbaum (Tribune Juive)

01.06.1995

Une programmation particulièrement intéressante caractérisera les deux semaines télévisuelles à venir (voir Télé-Scopage). Nécessité faisant loi, notre choix s'est arrêté sur deux documents impressionnants pour des raisons diamétralement opposées, mais ayant pour commune caractéristique de concerner Israël dans sa brûlante actualité, tant sociale que politique.
Commençons par le plus édifiant qui, sous la forme du dernier documentaire signé Eyal Sivan, se situe dans une logique de programmation par laquelle ARTE commence à flirter dangereusement avec l'obscénité, Après une inquiétante soirée thématique sur Jérusalem mitonnée par les soins du réalisateur Israélien (voir TJ du 25 mai), après une véritable abjection cinématographique sur les enfants des implantations signée du même à quelques jours d'intervalle -voici en effet aujourd'hui la suite du festival avec Aqabat Jaber paix sans retour ?
Tourné en 1994, ce documentaire se veut la suite analogique, du premier film d'Eyal Sivan, Aqabat Jaber, vie de passage, tourné en 1987 dans ce camp situé à trois kilomètres de Jéricho, en Cisjordanie, peuplé de quelque soixante-cinq mille réfugiés palestiniens au début des années cinquante, et déserté par 95 % d'entre eux lors de la conquête Israélienne en 1967. Tout l'intérêt de l'entreprise réside dans le fait que, en dépit des accords de paix et du passage du camp sous autorité palestinienne, rien ne distingue en fait les deux épisodes. Mêmes travellings latéraux aussi lents et longs qu'un exil mis par le réalisateur sur le compte de  "l'injustice historique de 1948", même litanie des discours où Israël se voit unilatéralement accusé de tous les maux du peuple palestinien. "Leur terre n'est pas ici, les Juifs doivent retourner en Europe",  "Tant qu'on vivra, on essaiera de libérer la terre qu'ils nous ont volée", "Nous voulons toute la Palestine jusqu'à Tel-Aviv, par le Djihad s'il le faut". Recueillies comme paroles d'Evangile par Eyal Sivan, ces quelques maximes, parmi cent autres de même acabit, devraient apparemment témoigner de la justification des griefs palestiniens et de la nécessité du retour de tous les exilés. Il faut espérer qu'elles n'apparaîtront que pour ce qu'elles sont : l'expression d'un véritable révisionnisme historique, l'inscription durable du refus haineux d'Israël comme constituant fondamental de l'identité palestinienne, le reflet enfin de la trouble jouissance d'un réalisateur qui fourvoie hélas sa responsabilité critique dans des affres de flagellant.
Sur un sujet également délicat, celui de l'univers carcéral Israélien, Amit Goren et Eytan Harris nous offrent en revanche un modèle de maîtrise et d'intelligence journalistiques dans le cadre d'Envoyé spécial sur France 2. Tourné à la prison de BeerSheva, dont la "qualité" des détenus et les conditions de détention lui valent la douce appellation "d'enfer sur terre", ce document nous fait assister à la passation de pouvoir entre Ron Levkovitch, adepte des méthodes disciplinaires, et son successeur Schlomo Tweezer, qui tente d'instaurer un dialogue responsable avec les sept cent cinquante détenus de la prison. A égale distance du voyeurisme et du moralisme, s'y esquissent des portraits absolument saisissants (l'homme aux cent cicatrices, le père et le fils emprisonnés, grâce à dieu, ensemble), ainsi que des scènes aussi surréalistes que celle du mariage d'un détenu dont le témoin n'est autre que le directeur. Concerts de musique orientale et posters de Zehava Ben disent par ailleurs la nature de la rupture sociale qui est consommée en ces lieux. Et il faut, à cet égard, attendre la lin du film pour comprendre pourquoi Schlomo Tweezer, quoi qu'il fasse, restera , "un des leurs" en une douloureuse et paradoxale fraternité.