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Un jeune cinéaste israélien regarde de près son pays... by Maurice Ulrich (L'Humanité Dimanche)

24.03.1991

"Souvenez-vous" se dit en hébreu "Iskor ". Eyal Sivan a donné au film de quatre-vingt-dix minutes, que propose "Océaniques" ce soir, ce titre et un sous-titre : "Les esclaves de la mémoire". Juif, Israélien, il a tourné ce document au mois d'avril, dans son pays. A cette période se succèdent quatre célébrations : la pâque juive, qui vit les esclaves hébreux sortir d'Egypte, le jour de la commémoration du génocide, celui des soldats morts pour la patrie et le jour de l'indépendance. Quatre dates, une unité. "Les souvenirs les plus forts que je garde de mon enfance, note Eyal Sivan, sont ceux de l'école : les leçons incessantes sur la Shoah, le sionisme, le civisme, la Bible (...) ; aujourd'hui je m'interroge sur ce qui unit les Israéliens, sur ce qui les empêche d'avoir sur eux-mêmes un regard critique et pluriel, sur ce qui les pousse à faire bloc comme un seul homme face au monde extérieur. C'est la mémoire, me suis-je dit, voilà le béton dans lequel est coulée la société israélienne... "
Une mémoire que revendiquent tous les témoins interrogés, jeunes ou adultes, mais une mémoire dont le professeur Leibovitz, une sommité en Israël, n'hésite pas à dénoncer, avec une force qui surprend, l'usage qui en est fait. "On se souvient de ce qu'on nous a fait, cela nous absout de tout. Nous pouvons tuer des Arabes dans les camps de réfugiés." Il verra, dans les méthodes scolaires mises en œuvre, "une éducation à l'esclavage, à la soumission, à l'autorité ". Comment en effet ne pas épouser son propos au vu du document, de ces enfants répétant, invariablement, comme des machines : "Nous sommes des hommes libres, nous sommes des hommes libres…" Pourtant, et c'est là aussi l'événement de ce document, cet esclavage de la mémoire a aussi ses ratés quand il bute, sur la réalité d'Israël aujourd'hui, dans la bouche d'un enfant de treize ans qui évoque les Palestiniens des territoires occupés. "Je pense que les Arabes veulent la liberté. Il faut leur rendre les territoires et pas les tuer. On n'est pas Hitler."