Qu'est-ce qui unit les Israéliens? Quel est le ciment de l'Etat? Pour répondre à ces questions fondamentales, Eyal Sivan, sabra (né en Israël), a fouillé dans sa mémoire, est revenu dans les écoles de son enfance, sur les lieux où se forgent les consciences des futurs citoyens. Il s'est souvenu des leçons d'histoire qui ont bercé sa jeunesse. A ce titre, le mois d'avril est particulièrement emblématique. Quatre célébrations s'y succèdent : la Pâque juive, qui marque la sortie d'Egypte des esclaves hébreux, le Jour de la Commémoration de la Shoah et de l'Héroïsme, le Jour de la Commémoration des Soldats de Tsahal morts pour la Patrie et le Jour de l'Indépendance, fête nationale. En 1990, à Jérusalem, il a donc filmé, dans les écoles, à l'intérieur des familles, les préparatifs et les rituels de ces fêtes... Dès l'ouverture du documentaire, en un long plan fixe, le professeur Leibovitz, philosophe et théologien, brise le supposé consensus à propos de l'enseignement dispensé aux enfants d'Israël : "C'est une éducation à l'esclavage dans laquelle la soumission de l'esprit est présentée comme l'essence de l'humanité et de la judéité." Affirmation péremptoire, clairvoyance politique ? "Esclaves nous avons été, maintenant nous sommes des hommes libres", chantent les petits. Comptines enfantines, leçons des professeurs, expositions, visites du Musée de l'Holocauste, défilés d'adolescents au pas cadencé, minutes de silence quand retentissent les sirènes et que la vie s'arrête... tout se conjugue pour dire : "Izkor" (souviens-toi), pour rappeler aux Israéliens la mémoire de leurs deuils. Bien sûr, les petites filles vêtues de rose ne se souviennent pas de ce qu'on leur a dit à l'école sur la Shoah. Karen, leur sœur de 14 ans, rêve d'entrer dans l'unité de combat active de l'armée et trouve que "c'est bien de mourir pour la patrie". Eran, élève de 17 ans au lycée René-Cassin, se dit prêt à partir pour ses trois ans d'armée, à faire son devoir, "servir" son pays... Plus tard, le professeur Leibovitz affirme que, si l'Etat d'Israël continue à se définir par rapport à ce que les autres ont fait subir aux juifs, il court à sa propre destruction. Alors, ces graves affirmations prennent une autre résonance. L'enseignement dispensé par les maîtres ("De la Shoah à la renaissance : faits et résultats"), leurs dérobades face aux questions du réalisateur concernant un éventuel conditionnement des élèves "de la crèche à l'armée" nous amènent à comprendre le discours du vieux philosophe. A ses yeux, le système éducatif vise à forger de "bons soldats" plutôt que d'"honnêtes gens" ; il craint que cette manipulation de la mémoire juive à des fins politiques ne dégage les Israéliens de toute responsabilité pour penser l'avenir de leur société. Depuis, le processus historique de paix engagé avec les représentants palestiniens avait démenti cette sombre hypothèse... jusqu'à ce que la tuerie d'Hébron ne pose de nouveau à la société israélienne la question de l'acceptation de l'autre. Les déclarations surprenantes d'Oshik, un garçon de 13 ans, nous reviennent alors en mémoire : "Pendant la Shoah, nous n'étions pas libres, maintenant que nous sommes indépendants, on ne peut plus nous forcer ; mais nous en imposons aux Arabes, c'est pourquoi ils se battent, ils ont raison de vouloir être libres, nous nous sommes battus pour cela."