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Leibowitz, l'imprécateur en vidéocassette by Michèle Kahn (L'Arche)

01.12.1993

Qu'est Yeshayahou Leibowitz ? Un visionnaire ? Un prophète au petit pied ? Un grand savant ? Un traître ? L'un et/ou l'autre ? A chacun de forger sa propre idée sur l'enfant terrible d'Israël, documents à l'appui. Eyal Sivan vient justement de lui consacrer Itgaber, un film d'entretiens. La première partie, De la science et des valeurs, constitue un éloge de la volonté. "L'homme ne sera un être libre,martèle le professeur Leibowitz, qu'à condition de s'être vaincu et de toujours se dépasser."La deuxième partie, De l'État et de la loi, illustre pleinement le paradoxe Leibowicien. Voici un homme sous kippa, qui d'un côté prône l'obligation de se soumettre au joug de la Torah et, de l'autre, maître à penser du mouvement qui s'oppose au service militaire dans les territoires occupés, tire à boulets rouges sur la loi et l'autorité de l'État d'Israël : il appelle à la révolte collective, dût-elle générer la guerre civile.
 
Au départ, le cinéaste souhaitait amener le philosophe à débattre avec d'autres intellectuels sur la notion de désobéissance à la loi. C'était compter sans le totalitarisme du maître. Il n'écoute personne, ne laisse parler personne, estime que dialoguer c'est perdre son temps. Sivan alors a eu l'idée de montrer Leibowitz à lui-même, en lui passant un montage d'interviews sur sa propre télévision. Nous voyons donc Leibowitz se regardant, s'écoutant, analysant l'écho de sa parole, et tout cela sans s'intéresser le moins du monde au film qui se fait, sauf pour douter de son intérêt. Cependant, peu de spectacles sont aussi vivifiants que celui de cet homme de quatre-vingt-dix ans qui rue dans les brancards, attaque, tonitrue, vilipende. Il faut voir sa silhouette noire, obstinée, dégingandée, défier la bise qui s'engouffre dans les rues de Jérusalem. Il faut le voir, l'œil bouillant de colère, malmener son fauteuil, maltraiter son front qu'il pince et triture comme pour en extraire la pensée. Et il faut écouter ses silences bruissants de questions.
 
Mais le scandale (pour nous, les contribuables) c'est que France 3, pourtant coproducteur majoritaire, ne semble pas vouloir diffuser ce film, à l'origine programmé dans l'émission Océaniques, aujourd'hui envoyée par le fond... "Ils disent qu'ils n'ont plus de 'case'", ont précisé les réalisateurs réunis à la SCAM pour la projection d'ltgaber. Devant la carence du Service public, les Éditions Montparnasse ont pris l'initiative courageuse de produire deux vidéocassettes. Chacun peut donc recevoir l'imprécateur à domicile ! Qu'on se réclame de la pensée de Leibowitz ou qu'on lui voue une haine farouche, ce film instruit et secoue. Des qualités rares par les temps qui courent.
 
Michèle Kahn
 
1-  Hébreu sous-titré en français. Les Films d'ici. France 3, Amythos, Image et compagnie.
2-  80 min chaque partie, 129 F la cassette.