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Un Spécialiste, de Rony Brauman et Eyal Sivan by Christian Delage (Esprit)

01.05.1999

Esprit Mai 1999
Le procès Eichmann vu par Rony Brauman et Eyal Sivan
Par Christian Delage*
On ne s'en rend pas compte tout de suite. Il faut quelque temps pour le sentir, même confusément : c'est un cinéaste, Leo Hurwitz1, qui a filmé le procès Eichmann. Formé à l'école documentaire dans l'Amérique des années trente, il participa à l'aventure des intellectuels et des artistes engagés dans la Film and Photo League, puis dans le collectif de production Frontier Films. Il fut le collaborateur, en 1936, de Pare Lorentz, qui participa, après la guerre, à la réalisation d'un montage intitulé Nuremberg2, mêlant des vues filmées du procès de Nuremberg et des images de propagande nazie. Lui-même fut sollicité par les autorités polonaises en 1956 pour produire et réaliser un film sur le musée d'Auschwitz, The Museum and The Fury. Il y développa une réflexion sur la fonction qu'une instance muséographique peut exercer, à travers des objets, des images et des textes, pour évoquer l'extermination dans les camps. C'est donc fort de cette expérience filmique qu'il s'est retrouvé en 1961 à Jérusalem chargé de superviser l'enregistrement audiovisuel du procès d'Adolf Eichmann, et qu'il a su trouver la bonne distance par rapport aux principaux acteurs des débats, en faisant se croiser les paroles et les gestes échangés dans la salle de spectacle de la Maison du peuple, transformée en tribunal.
 
L'espace de tournage était délimité par la Cour, la table de la défense et du ministère public, le box des témoins, la cage de verre de l'accusé et les bancs du public. Conscient du rôle historique et politique d'un tel procès, Leo Hurwitz a cherché à donner une place aux futurs spectateurs de ces images, par un choix de positions de caméras et de cadres favorisant une empathie avec les sujets filmés3. Ces images, prises dans leur continuité, ne sont donc pas seulement regardables aujourd'hui comme une trace, mais comme une mise en forme cinématographique du procès d'Eichmann, avant même qu'un travail de remontage ne vienne en proposer une lecture, en livrer une interprétation.
Le problème de la réception d'un récit filmique, quel qu'en soit le statut -fiction ou documentaire- et quel qu'en soit le moment -première projection ou reprises ultérieures- se situe d'abord et toujours en amont, dans la manière dont le réalisateur a organisé la relation entre lui-même, les personnages mis en scène et le spectateur, et non en aval, dans la prise en compte des goûts ou des attentes supposés du public. Il s'avère impossible pour un cinéaste de filmer sans avoir réfléchi à la forme qu'il va donner à l'histoire racontée ou à la mise en scène de ce qui lui est donné à voir. Il suffit de visionner les premières bandes tournées par les frères Lumière pour apercevoir de temps en temps la main du réalisateur donnant furtivement une indication de mouvement ou de regard aux gens devant lesquels la caméra a été fixée. La tentation de réorganiser la "réalité" de ce qui est en train de se passer, simultanément ou postérieurement par l'ajout de séquences tournées en studio (phénomène inauguré avec la première guerre filmée, celle des Boers, à la fin du siècle dernier) apparaît dès la naissance du cinématographe. Si l'hypothèse d'une saisie complète et spontanée des petits comme des grands événements du quotidien est vaine (Pier Paolo Pasolini l'avait bien montré à propos du plan tourné par un amateur lors de l'assassinat de Kennedy à Dallas4), c'est que l'enregistrement, le prélèvement d'une partie du réel est indissociable d'un choix d'agencement, d'une forme d'écriture, de ce que, dans son expression artistique la plus achevée, Gilles Deleuze qualifie d'"idée en cinémas5". Le premier mérite du film de Rony Brauman et Eyal Sivan, réalisé à partir des 350 heures vidéographiques du procès d'Eichmann à Jérusalem, est précisément d'avoir su montrer, en la renforçant, la qualité du travail de Leo Hurwitz. Et c'est par ce premier niveau de lecture critique qu'il convient d'aborder Un spécialiste. En supprimant les longs moments consacrés à la traduction simultanée, et en incrustant des sous-titres, le film a d'abord exploité l'une des spécificités du langage cinématographique : la compression du temps. Le procès avait sa propre temporalité ; le tournage de Leo Hurwitz en a instauré une autre, qui nous empêche de prendre la continuité filmique pour une simple retransmission des sessions quotidiennes ; le montage de Brauman et Sivan en a ajouté une troisième, qu'ils assument en déclarant que la vérité de leur film,
[...] de tout film, ne se retrouve donc pas dans une inconcevable absorption du réel, mais dans une reconstruction dont la structure et les critères de choix doivent être explicites6.
Deux choix majeurs ont été effectués : centrer notre attention sur l'accusé, et nous mettre dans la position virtuelle du public assistant au procès. Par la variation de la profondeur du champ offert à notre regard, nous pouvons ainsi comprendre, en nous attachant à des détails, le déroulement de la procédure judiciaire : par exemple, quand Eichmann écoute la traduction d'une question ou d'une remarque qui lui est adressée, il est assis. A chaque fois qu'il prend la parole, il se lève énergiquement, dit seulement quelques mots ou de longues phrases, puis se rassoit. A l'image, cette manière d'accompagner physiquement ses interventions force presque notre attention. Au cours d'une discussion sur la localisation de la destination finale des trains de déportés, il est invité à identifier sur une carte les territoires annexés au Reich. Il feint d'abord de ne plus s'en souvenir, puis saisit cette occasion pour solliciter l'autorisation de se déplacer vers cette carte. Le président lui donne son accord : pour la première fois, l'accusé sort de sa cage de verre. Comprenant l'enjeu symbolique d'une telle opportunité, le procureur s'empresse de le rejoindre, et devant ses hésitations, lui prend la baguette des mains pour indiquer lui-même la vraie frontière sur la carte. En règle générale, Eichmann a toujours devant lui de nombreux papiers qu'il consulte ou auxquels, même s'il ne les cite pas, il semble se référer : ces documents ne sont pas seulement les pièces numérotées d'un vaste ensemble d'archives constituant le dossier du procès, mais également la marque des activités quotidiennes d'un fonctionnaire agissant à un certain échelon hiérarchique. Leur présence est évocatrice de la matérialité de la gestion de l'extermination par les nazis : une manière de ne pas se heurter de front à l'irrationalité d'une telle politique sans risquer de la banaliser. Grâce à la session du procès consacrée à la conférence de Wannsee, il est loisible de comprendre que ce processus n'est pas anonyme ou simplement ordinaire :
Ils ont discuté de la question avec des mots très crus, rapporte Eichmann, pas avec les mots qu'on m'a demandé d'écrire. Ils nommaient la chose avec des mots très crus (…), un ton et un vocabulaire très étrangers au langage juridique7.
Dans le premier interrogatoire qu'il a subi avant le procès8, et présenté sous la forme d'un document sonore en cours d'audience, il s'expliquait de façon différente :
C'était la première fois de ma vie que je prenais part à une telle conférence, à laquelle participaient d'aussi hauts fonctionnaires, tels que des secrétaires d'Etat. Ça s'est passé de manière très tranquille, très courtoise, très disciplinée et très agréable9
Ces deux récits suggèrent bien comment Eichmann est devenu, selon l'expression de Raul Hilberg, "un pionnier et un praticien accompli de la destruction10."
 
Archive et histoire
 
Un spécialiste est rempli de ces petits événements qui disent quelque chose de l'histoire de l'extermination à l'intérieur du procès filmé d'Eichmann. La réalisation n'est cependant pas à la hauteur du travail considérable de collecte et de visionnement des archives vidéo que les auteurs ont dû effectuer. Ainsi, le choix de se tenir à une seule source, en la réorganisant de manière à privilégier la personne d'Eichmann, a contraint les auteurs à se tenir aussi éloignés de la réalité globale du procès que du travail d'interprétation des historiens. L'absence de commentaire comme d'intertitres explicatifs a permis d'éviter l'écueil de soumettre l'archive à une lecture savante procédant d'un savoir constitué en dehors d'elle et de la voir transformée en simple illustration d'un discours historien. Pourtant, qu'elle soit audiovisuelle ou écrite, une source ne peut être convoquée seule, sans croisement avec d'autres, ou, à tout le moins, sans afficher un point de vue, une problématique. Il faut un jeu de va-et-vient entre ce que l'archive nous dit et ce que nous convoquons comme lectures et comme réflexions critiques sur une question donnée. Or, nous sommes dépourvus de la remise en contexte du procès et, surtout, des conditions distanciées de sa résonance dans le temps présent (il n'est pas sûr que le spectateur non averti comprenne bien que la polémique contemporaine du procès autour de la responsabilité des conseils juifs ne se pose plus dans les mêmes termes aujourd'hui). Il faut reconnaître néanmoins que nous sommes sans doute préservés des dangers soi-disant graves que le travail sur les images du procès ferait courir à la morale, voire à l'éthique de la représentation. En ne tenant pas assez leur propre montage, Brauman et Sivan en arrivent à ne pas mettre suffisamment en valeur certains moments forts du procès qu'ils ont pourtant eux-mêmes retenus au cours de longues journées de visionnement. Leurs intuitions, souvent justes, ne se formalisent pas toujours de manière convaincante. Ainsi, par exemple, sur la manière dont l'image peut favoriser l'écoute : en substituant au son souvent défectueux des bandes vidéo l'enregistrement magnétique du procès effectué pour la radio israélienne, les modes de prise de parole et leur interaction (entre la Cour et le témoin, entre le procureur et l'accusé) sont rendus au plus près de leur dynamique judiciaire : c'est particulièrement le cas lors du témoignage de Georges Wellers, qui s'exprime en français. Mais aussi lors de l'intervention du juge Halevi11, qui a choisi de s'adresser en langue allemande à l'accusé, pour le presser de répondre directement à la question centrale de la responsabilité et de la conscience. Ces deux interventions auraient mérité un meilleur traitement dans la "mise en scène" d'Un spécialiste. De manière générale, les auteurs du film prêtent volontairement le flanc à la critique en n'ayant pas restreint l'usage des trucages à la seule amélioration de la lisibilité des images et des sons d'archives, invoquant de manière inutilement provocatrice leur droit au "charcutage" de la continuité filmée du procès12. Il était déjà périlleux de se tenir, ne serait-ce que pour la compréhension des visées judiciaires et politiques du procès, sur la seule archive filmée. Mais le choix n'a pu être entièrement assumé : le film s'est certes éloigné par nécessité du flux originel des images, mais en s'écartant volontairement de la chronologie du déroulement du procès et en lui préférant celle, historique, de l'évolution de la politique antijuive des nazis. Il en résulte un télescopage forcément confus entre des logiques qui doivent être distinguées dans leurs légitimités respectives : le procès ne dit pas l'histoire de même que l'histoire ne se fait pas dans les prétoires, ce qu'Henry Rousso, à propos du procès Papon, qualifie de fossé "entre un procès en justice et un procès de connaissance13".
 
Autre exemple : les montages effectués à partir des archives filmées du procès de Klaus Barbie n'avaient pu faire autrement que de mettre en relief les dépositions des témoins, puisque l'accusé avait décidé de ne pas assister, sauf obligation, à son procès14. Brauman et Sivan, ayant la possibilité de faire un choix différent, ont refusé tout pathos dans l'évocation de l'horreur, mais au risque de trop restreindre la place accordée aux témoins ou d'inviter de manière insuffisamment explicite à la réflexion. Ainsi, alors que des images des camps, déjà montrées à Nuremberg ; sont projetées dans l'enceinte du tribunal, seul l'axe de prise de vue perpendiculaire à la projection a été privilégié, nous évitant de voir ce que le procureur général regrette lui-même comme "une épreuve pénible" infligée à la Cour. En fixant un cadre saisissant le regard impassible d'Eichmann, nous sommes plutôt mis dans la gêne d'une attitude d'indifférence de ce dernier face à ce que nous pouvons supposer figurer sur ces documents. Ceux-ci étant muets, le procureur les décrit ainsi :
Des soldats SS et des femmes SS...
Voici le contenu des entrepôts d'Auschwitz : des dents, des dentiers, des effets personnels, des lunettes.
Des cadavres entassés avant d'être détruits...
La Cour va voir les fils de fer barbelés, les miradors et les clôtures électriques. C'est un mort, électrocuté dans des barbelés électrifiés.
Un suicide.
L'appel à Mauthausen. Des gens sont nus15.
 
Il est déjà difficile de regarder les films tournés par les Alliés lors de l'ouverture des camps. Que faire des images des bourreaux ? La manière presque clinique adoptée par le procureur ne manque pas de surprendre : un commentaire aussi redondant est-il nécessaire ? Faut-iI s'astreindre, pour ne pas s'apitoyer, à ce registre de stricte banalité descriptive ? Comme l'expliquait Robert Antelme,
[La] disproportion entre l'expérience que nous avions vécue et le récit qu'il était possible d'en faire ne fit que se confirmer par la suite. Nous avions donc bien affaire à l'une de ces réalités qui font dire qu'elles dépassent l'imagination. Il était clair désormais que c'était seulement par le choix, c'est-à-dire encore par l'imagination, que nous pouvions essayer d'en dire quelque chose16.
Ce n'est pas parce que ces images ont été considérées comme des pièces faisant partie du dossier d'accusation qu'elles possèdent la même historicité que celles de Leo Hurwitz. On ne peut séparer leur éventuelle valeur "informative" des conditions de leur enregistrement. La pertinence d'une archive audiovisuelle dépend certes de la capacité de son auteur à avoir effectué une "prise de vue" d'une réalité qui lui est extérieure, mais dans un registre de bienveillance, de respect par rapport à ce qu'il filme. À l'instar des images tournées par les nazis pour leur propre plaisir morbide, comme celles de la lente agonie des accusés de l'attentat manqué contre Hitler en 1944 pendus à des crochets de boucher, les documents montrant les camps sont disparates et anonymes. Ce n'est pas une raison pour prôner leur destruction par une injonction morale : qu'on le veuille ou non, ils sont une trace laissée par les responsables de la Solution finale, qu'on peut toujours confronter à d'autres sources17. Malgré, ou peut-être à cause de son caractère inabouti, Un spécialiste invite à mettre sur la place publique, avec un esprit d'ouverture, un certain nombre de débats essentiels sur les conditions d'une écriture cinématographique de l'histoire et du statut de vérité du récit filmique.
 
Christian Delage*
 
 
1.Le Museum of Modern Art de New York conserve la majorité des films photographiés ou réalisés par Leo Hurwitz : Hunger (Film and Photo League, USA, 1931-1932), The Plow that Broke the Plains (Paul Strand, Resettlement Administration, USA, 1936). Heart of Spain et Native Land (en collaboration avec Paul Strand, Frontier Films, USA, 1937 et 1942), Strange Victory (Target Films Production, USA, 1948), The Museum and The Fury (Film Frontiers pour Films Polski, Pologne, 1956).
2. Civil Affairs Division. US War Department, 1948.
3."Quatre caméras vidéo, dissimulées derrière de fausses cloisons pour ne pas troubler le déroulement des débats, furent installées dans le tribunal. Les opérateurs étaient dirigés depuis la régie vidéo qui transmettait les images des caméras sur quatre moniteurs, permettant le choix des cadres et des angles en temps réel. Le réalisateur Leo Hurwitz sélectionnait celui des quatre axes qui serait enregistré", Rony Brauman et Eyal Sivan, Eloge de la désobéissance, Paris, Le Pommier-Fayard, 1999, P. 40.
4.Supposons, écrivait-il, "que nous disposions non pas d'un seul petit film sur la mort de Kennedy, mais d'une douzaine de petits films analogues, comme autant de plans-séquences qui reproduisent subjectivement le présent de la mort du président (…). En fait cette multiplication de "présents" abolit le présent, le rend vain, chacuns de ces présents postulant la relativité de l'autre, son manque de fondement, son imprécision, son ambiguïté", "Observations sur le plan-séquence", l'Expérience hérétique, Paris, Payot, 1976 (1er éd., 1972), p. 88-92, cité par Christian Delage et Vincent Guigueno dans "Une représentation de la violence politique : JFK (Oliver Stone)", in Violences et pouvoirs politiques, textes réunis par Michel Bertrand, Natacha Laurent et Michel Taillefer, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 1996, p. 229-234.
5. Gilles Deleuze, "Qu'est-ce que l'acte de création ?", in Christian Delage, sous la dir. de, Ecrits, images et sons dans la Bibliothèque de France, Paris, IMEC/BNF, 1991, p.167-173.
6. R. Brauman et E. Sivan, Eloge de la désobéissance, op. cit., p. 88.
7. R. Brauman et E. Sivan, Éloge de la désobéissance, op. cit., p. 128-129.
8.Hannah Arendt présente ainsi ce document : "Il s'agit de la transcription, en allemand, de l'interrogatoire d'Eichmann par la police. Cet interrogatoire fut enregistré sur des bandes magnétiques puis dactylographié. Le texte fut enfin soumis à Eichmann qui le corrigea de sa main. Ce texte est, avec la transcription des débats, le document le plus important du procès", Eichmann à Jérusalem, Paris, Gallimard, coll. "Folio histoire" 1991 (1er éd., 1963), p. 450.
9.R. Brauman et E. Sivan, Eloge de la désobéissance, op. cit., p. 130.
10.Raul Hilberg, Exécuteurs, victimes, témoins. La catastrophe juive, 1933-1945, Paris, Gallimard, Coll. "Essais", 1994 (1er éd., 1992), p. 59.
11. R. Brauman et E. Sivan, "Juge Halevi, s'adressant à Eichmann : -Je vais me permettre également de déroger à la procédure habituelle en renonçant un instant à l'hébreu pour interroger l'accusé dans sa langue. Ne vous est-il jamais arrivé d'avoir un conflit, ce qu'on appelle un conflit de conscience, entre votre devoir et votre conscience ?", Eloge de la désobéissance, op. cit., p. 151.
12.R. Brauman et E. Sivan expliquent dans leur livre que "Les manipulations techniques employées dans Un spécialiste sont insignifiantes par rapport au charcutage nécessaire pour extraire deux heures d'un fond de trois cent cinquante heures", Eloge de la désobéissance, op. cit., p. 96.
13.Henry Rousso, la Hantise du passé. Entretien avec Philippe Petit, Paris, Textuel, 1998, p. 106.
14.Le musée-mémorial d'Izieu a produit en 1994 un montage court des archives filmées du procès Barbie, centré sur la rafle des enfants d'Izieu (Christian Delage et Anne Grynberg, la Rafle des enfants d'Izieu. Extraits des archives filmées du procès Barbie, 1994, 25 minutes). Le seul visionnement des images, en compagnie du sociologue Alain Bancaud et de l'avocat Roland Rappaport, fut une épreuve particulièrement pénible : la mémoire des témoins était d'autant plus meurtrie qu'elle avait dû attendre plus de quarante ans pour trouver une expression publique, devant une cour d'assises. Sans l'ajout d'un commentaire autre que le seul montage effectué, nous avons ainsi accordé une place privilégiée -entre l'expression des douleurs toujours vives des mères et des enfants et la sincérité de Julien Favet, seul témoin oculaire de la rafle- aux paroles sobres et graves du docteur Léon Reifman.
15.R. Brauman et E. Sivan, Eloge de la désobéissance, op. cit., p. 115.
16.Robert Antelme, l'Espèce humaine, avant-propos, Paris, Gallimard,1957.
17.Des images fixes et animées existent cependant du côté des victimes : ainsi le Yiwo Institute, à New York, possède des documents audiovisuels réalisés par des juifs dans les ghettos polonais. Il a été ainsi possible, pour un montage également commandité par le musée-mémorial d'Izieu, de les placer en contrepoint de ceux réalisés par les nazis. Voir Christian Delage et Anne Grynberg, Avec les enfants ?, fiction et documentaire, 1995, 18 minutes.`
 
*Historien, université de Paris-VIII.